Vous achetez régulièrement des livres que vous ne lisez jamais ? Ils s’empilent dans votre salon ou sur votre table de chevet et prennent la poussière ? Vous souffrez peut-être de tsundoku.
Qu’est-ce que le tsundoku ou bibliophilie ? Définition
Le tsundoku que l’on prononce \tsun.do.ku\, est la contraction de deux mots japonais Tsunde-Oku (積んでお), qui désigne l’accumulation de choses pour les utiliser plus tard, et Doku-Sho (読書), qui veut dire lire des livres.
Tsundoku fait donc référence à la manie d’acquérir sans cesse de nouveaux livres dans l’attente de les lire un jour.
En français on retrouve 2 synonymes :
- la bibliomanie qui est l’accumulation de livres, de revues et de journaux sans pouvoir s’arrêter
- la bibliophilie qui désigne l’amour du livre et de la lecture
Ces deux termes sont très proches, mais diffèrent tout de même sur un point :
Les bibliophiles aiment les livres pour ce qu’ils leur apportent tandis que les bibliomanes les collectionnent compulsivement sans jamais les lire. Les premiers ont donc un amour “sage” des livres alors que les deuxièmes ont un besoin maladif d’accumulation.
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L’histoire du tsundoku
16ème siècle : La pratique tsundoku est mentionnée pour la première fois. Elle fait partie des trois méthodes de lecture, les autres étant le rou-doku (朗読) ou la lecture à voix haute, et le moku-doku (黙読) la lecture silencieuse.
1809 : Thomas Frognall Dibdin, un pasteur et bibliophile britannique, publie Bibliomania – une référence à la « folie des livres » ou la compulsion d’acheter de la littérature unique.
1868 : Le mot « tsundoku » se répand pendant l’ère Meiji, qui dure de 1868 à 1912 et a vu le développement du Japon moderne (certaines sources indiquent cette ère comme le moment où le terme a été inventé).
1879 : Première mention imprimée d’un tsundoku sensei, se référant de manière satirique à un professeur qui n’a pas lu les nombreux livres qu’il possède.
1894 : Charles Nodier, écrivain et romancier français, popularise le concept du tsundoku dans une nouvelle intitulée Le Bibliomane et dans laquelle le personnage principal passe sa vie au milieu des livres.
1926 : Lancement du Book of the Month Club, promettant des sélections de qualité chaque mois et construisant une culture de collection de livres pour la classe moyenne qui allait prospérer même pendant la Grande Dépression.
2007 : Lancement de la Kindle par Amazon. Le tsundoku devient numérique. Avec l’achat en un clic, la tentation d’accumuler toujours plus de livres est d’autant plus forte.
2007 : Lancement de l’application « read-it-later » Pocket, qui est essentiellement un tsundoku pour les articles de médias.
Qui sont les plus grands bibliophiles ?
Le réalisateur George Lucas
Le réalisateur George Lucas cumule plus de 27000 livres, dans la bibliothèque de recherche de LucasFilm, qui abrite également plus de 17 000 films en DVD, VHS, Laserdisc, Betamax et Betacam.
L’écrivain italien Umberto Eco
L’écrivain italien Umberto Eco possède plus de 30000 livres dans sa bibliothèque.
Sir Thomas Phillips
Sir Thomas Phillips, un bibliophile britannique du XIXe siècle possédait plus de 40 000 livres et 60 000 manuscrits.
Le créateur de mode Karl Lagerfeld
Le créateur de mode Karl Lagerfeld avait accumulé pas moins de 300 000 livres, magazines et revues au cours de sa vie.
Le collectionneur professionnel Anke Godwa
Anke Godwa, collectionneur professionnel cumule plus de 1,05 million livres.
Êtes-vous bibliophile ?
Pour savoir si vous êtes bibliophile, il suffit de vous poser les 3 questions suivantes :
- Achetez-vous régulièrement de nouveaux livres que vous ouvrez rarement voire jamais ?
- Ressentez-vous un désir irrésistible d’acheter des livres seulement pour remarquer qu’une fois que vous en avez fait l’acquisition, vous avez complètement perdu l’intérêt de les lire ?
- Éprouvez-vous une satisfaction d’accumuler des livres dans votre bibliothèque ?
Si vous avez répondu oui à ces 3 questions, vous êtes sans doute bibliophile.
Est-ce qu’être atteint de tsundoku est si grave ?
Le tsundoku a souvent mauvaise presse. Beaucoup le voient comme une quête superficielle de prestige plutôt qu’une recherche de connaissance. C’est ce qu’écrivait l’Encyclopédie de 1751 :
Un bibliomane n’est donc pas un homme qui se procure des livres pour s’instruire : il est bien éloigné d’une telle pensée, lui qui ne les lit pas seulement. Il a des livres pour les avoir, pour en repaître sa vue ; toute sa science se borne à connaître s’ils sont de la bonne édition, s’ils sont bien reliés : pour les choses qu’ils contiennent, c’est un mystère auquel il ne prétend pas être initié ; cela est bon pour ceux qui auront du temps à perdre. Cette possession qu’on appelle bibliomanie est souvent aussi dispendieuse que l’ambition et la volupté.
Mais est-ce que la bibliophilie est vraiment synonyme de pédanterie et d’exhibitionnisme intellectuel ?
Certains comme Nassim Nicholas Taleb ne sont pas de cet avis. Il considère qu’une bibliothèque ne doit pas être une vitrine à trophée dans laquelle on expose fièrement tous les livres que l’on a lus, mais plutôt un outil de recherche grâce auquel on peut rapidement accéder à l’information dont on a besoin :
L’écrivain Umberto Eco appartient à cette petite classe d’érudits qui sont encyclopédiques, perspicaces et pas ennuyeux. Il est le propriétaire d’une grande bibliothèque personnelle (contenant 30000 livres) et sépare les visiteurs en deux catégories : ceux qui réagissent par un “Wow ! Signore, professore dottore Eco, quelle bibliothèque vous avez ! Combien de ces livres avez-vous lu ?” et les autres – une très petite minorité – qui comprennent qu’une bibliothèque privée n’est pas un appendice qui booste l’ego mais un outil de recherche. Les livres lus sont beaucoup moins précieux que ceux non lus. Une bibliothèque doit contenir autant de ce que vous ne connaissez pas, et autant que vos moyens financiers, votre taux d’emprunts et le marché de l’immobilier vous autorisent à y mettre. Vous accumulerez du savoir et plus de livres, et plus vous vieillirez, plus le nombre des livres non lus vous regardera de manière menaçante. Appelons cette collection de livres non lus une anti-bibliothèque.
Collectionner des livres sans les lire n’est donc pas un problème. Tant que vous ne le faites pas pour impressionner la galerie et que cela ne vous ruine pas financièrement, il n’y a aucun mal à cela. C’est même plutôt inspirant de savoir que vous avez une tonne de livres à votre portée que vous pouvez ouvrir à tout moment pour apprendre ou simplement vous évader.
Finalement le tsundoku n’est pas manifestation de vanité, mais un témoignage de l’aspiration humaine à la connaissance et à la découverte. Chaque livre non lu dans une bibliothèque n’est pas un signe d’ostentation, mais plutôt un horizon de possibilités, un univers d’idées inexplorées attendant d’être découvertes.