L’effet Einstellung est un des biais cognitifs les plus nuisibles.
Il est à la source de beaucoup de nos problèmes. C’est ce qui explique que l’on ne parvient pas à sortir de notre zone de confort, que l’on n’exploite pas notre plein potentiel, que l’on fait les mauvais choix et que l’on peine à avoir de nouvelles idées et à innover.
Personne n’est épargné par ce biais. Quel que soit notre âge, notre QI ou notre degré d’expertise, on n’y échappe pas.
Alors, qu’est-ce que l’effet Einstellung ? Et comment le limiter ?
L’effet Einstellung : Définition
L’effet Einstellung, aussi appelé l’effet d’attitude, a été décrit pour la première fois en 1942 par le Dr Abrham Luchins. C’est un biais cognitif qui consiste à privilégier une solution maîtrisée et connue, mais moins efficace même si des solutions plus efficaces, simples ou appropriées existent.
Pour mieux comprendre, remontons quelques siècles en arrière à l’époque où “se laver les mains” était une pratique médicale controversée.
(accrochez-vous parce que l’histoire que je vais vous raconter est un peu morbide)
Dans les années 1840, beaucoup de jeunes mères mourraient d’une maladie appelée la fièvre puerpérale. Malgré toutes les précautions prises par les médecins, de nombreuses femmes décédaient après avoir donné naissance.
Intrigué par cette maladie, Ignaz Semmelweis, un médecin hongrois décida d’étudier le problème pour en comprendre l’origine.
Semmelweis travaillait à l’hôpital de Vienne dans lequel se trouvaient 2 services de maternité, un dont l’équipe était composée exclusivement d’hommes et l’autre de femmes. Il remarqua que le taux de mortalité était 2 fois inférieur dans le service composé de femmes.
Après avoir testé de nombreuses hypothèses, Semmelweis trouva la source du problème : les cadavres. Tous les matins à l’hôpital, les médecins hommes assistaient les étudiants en médecine pendant leurs autopsies. L’après-midi ils se rendaient à la maternité pour les accouchements.
Les femmes du service de maternité, elles, ne faisaient pas ces autopsies. Elles s’occupaient seulement des accouchements.
Semmelweis en déduisit que des bactéries étaient transférées des cadavres vers les nouvelles mères puisqu’à l’époque les médecins n’étaient pas obligés de se laver les mains entre les consultations comme c’est le cas aujourd’hui.
En 1847, Semmelweis instaura alors une nouvelle règle au sein de son hôpital. Désormais tous les médecins et étudiants en médecine devraient systématiquement se désinfecter les mains entre les consultations ainsi que leurs ustensiles.
Peu de temps après avoir adopté cette nouvelle pratique, le taux de mortalité chuta dans les maternités.
En 1850, Semmelweis présenta ses résultats à la prestigieuse Vienna Medical Society devant un public de brillants médecins. Il expliqua l’importance de se laver les mains entre les consultations et de désinfecter le matériel. Et il exhorta à ses confrères d’instaurer de nouvelles règles d’hygiène dans leurs établissements.
Mais la majorité d’entre eux rejetèrent sa proposition prétextant que ses études étaient erronées. Semmelweis fut contraint d’abandonner les règles qu’il avait instaurées dans son établissement malgré leur efficacité. Il continua malgré tout à se battre jusqu’à sa mort en publiant de nombreux articles et livres sur l’hygiène dans le milieu médical. Mais tous ses écrits étaient ignorés ou vivement critiqués.
Il a fallu attendre les années 1870 pour que la désinfection des mains et des instruments chirurgicaux soit reconnue et généralisée par tout le corps médical.
Ce que cela signifie c’est que pendant plus de 20 ans, on savait exactement ce qu’il fallait faire pour limiter drastiquement le taux de mortalité lors d’accouchements et d’interventions chirurgicales, mais on a refusé d’agir. On a continué de faire ce que l’on faisait déjà même s’il existait clairement une meilleure alternative.
Et c’est là tout le problème de l’effet Einstellung.
Ce biais nous pousse à continuer de faire ce que l’on a toujours fait même si c’est inefficace ou contre-productif sous prétexte “qu’on a toujours fait comme ça.”
Cette erreur affecte négativement notre façon de travailler, notre prise de décision, notre capacité à résoudre des problèmes et nos résultats.
C’est paradoxal parce qu’on cherche pourtant tous les meilleures solutions possibles à nos problèmes. Alors, comment expliquer qu’on privilégie la moins bonne option ?
D’où vient l’effet Einstellung ?
L’expertise
On pense souvent qu’avoir une expertise sur un sujet donné nous donne un avantage. C’est vrai dans la plupart des cas. Mais le revers de la médaille c’est que cela crée aussi une forme de rigidité.
Quand on est spécialisé dans un domaine en particulier, on a tendance à accorder une importance disproportionnée à nos connaissances et à nos expériences. Et quand on fait face à une situation inédite qui requiert de nouvelles approches, on se sent déstabilisé.
Alors plutôt que de considérer de nouvelles solutions viables, mais inconnues, on applique des méthodes qui nous sont familières même si elles sont inadaptées. Parce que c’est ce à quoi on est accoutumé.
La peur
Le meilleur est l’ennemi du bien
Voltaire
L’effet Einstellung provient aussi souvent de la peur. La peur du changement, la peur de se tromper, la peur de perdre quelque chose, la peur de mal faire…
C’est d’ailleurs cette peur qui empêche les entreprises d’innover. Quand une entreprise propose des produits et services qui fonctionnent, elle a souvent beaucoup de mal à innover parce que cela implique une part de risque. C’est mettre potentiellement en danger tout ce qu’elle a mis du temps à construire.
Alors plutôt que de proposer des nouveautés, elle préfère faire les mêmes choses parce que c’est plus prudent.
C’est ce que l’on remarque chez des entreprises comme Evernote par exemple. Evernote est une entreprise pionnière dans les applications de prises de notes. Des millions de personnes l’utilisent aujourd’hui pour prendre des notes et sauvegarder leurs documents.
Mais depuis maintenant plus de 5 ans, l’entreprise peine à innover. Car changer l’application implique de prendre le risque de potentiellement décevoir des millions de personnes et de remettre en question le produit qui a fait son succès jusqu’à aujourd’hui.
C’est ce qui explique que l’entreprise stagne aujourd’hui et perd de la vitesse face à des concurrents comme Notion, Bear ou Roam.
Quand on fait quelque chose qui fonctionne, on a beau savoir qu’il y a de meilleures façons de faire, on aura souvent du mal à changer parce qu’on aura peur de perdre ce que l’on a mis du temps à construire.
La difficulté / contrainte
L’effet Einstellung peut aussi provenir de la difficulté à changer. Généralement, on sait qu’il existe de meilleures options, mais on ne fait rien parce que c’est trop contraignant.
Il y a quelques années, je travaillais dans une entreprise dont la culture était toxique. Le management était mauvais, les employés n’étaient pas du tout investis et passaient leur temps à gossiper. L’atmosphère était pesante au bureau. On le ressentait à l’instant où on franchissait la porte d’entrée.
La direction en avait conscience, mais personne ne faisait rien. Pourtant elle savait qu’il existait des solutions. Elle aurait pu faire appel à un consultant, redéfinir de nouvelles règles, trouver des façons de motiver les employés… mais c’était trop compliqué, trop long et trop coûteux. Alors elle a préféré ne pas agir.
Si on privilégie de moins bonnes solutions, ce n’est pas parce qu’on ignore qu’il en existe de meilleures, c’est souvent parce qu’opérer un changement est trop contraignant ou difficile.
Lire aussi : La loi du moindre effort
4 approches pour réduire l’effet Einstellung
Ne pas se limiter à la première idée
Emanuel Lasker, Grand Maître d’échec a dit un jour :
Quand vous voyez un bon coup – attendez – et cherchez-en un meilleur.
Quand on fait face à un problème, on s’arrête souvent à la première bonne idée qui nous vient en tête. Seulement c’est rarement la plus optimale. Elle nous empêche de considérer d’autres idées qui seraient meilleures.
Pour trouver les meilleures solutions, on ne doit donc pas s’arrêter à la première idée. On doit creuser en profondeur, car c’est là que l’on trouve les vraies pépites.
S’équiper de bons modèles mentaux
La meilleure façon de limiter l’effet Einstellung est de s’équiper de bons modèles mentaux.
Si vous ne savez pas ce qu’est un modèle mental, c’est un outil qui permet de mieux raisonner et de développer notre esprit critique. Pour faire simple, les modèles mentaux sont au cerveau ce que les logiciels sont à l’ordinateur. Plus vous disposez de modèles mentaux, plus vous êtes capable de limiter les effets des biais cognitifs.
Pour en savoir plus sur le sujet, je vous recommande de lire mon article sur les modèles mentaux et de consulter mes articles de la même catégorie.
Adopter un processus d’amélioration continue
Adopter un processus d’amélioration continue est aussi un excellent moyen de réduire l’effet Einstellung. En faisant régulièrement le point sur nos approches, nos méthodes et nos stratégies et en cherchant continuellement des façons de s’améliorer, on se remet en question. C’est le meilleur antidote contre la stagnation.
Pour apprendre à mettre en place ce genre de processus, lisez les 2 articles suivants :
Ne pas toujours compter sur l’expertise
Quand on fait face à une problématique, on se tourne généralement vers des experts parce qu’on estime que leurs années d’expérience sont bénéfiques. Le problème c’est que, comme on l’a vu, les experts sont les premiers touchés par l’effet Einstellung. Leurs connaissances rigidifient leur réflexion ce qui les empêche de considérer toutes les potentielles solutions.
Parfois le meilleur moyen de résoudre un problème est donc de faire appel à un novice. Une personne sans aucune connaissance préalable, capable d’apporter de nouvelles idées auxquelles un expert n’aurait jamais songé.
Personnellement à chaque fois que j’embauche une nouvelle personne, la toute première chose que je lui demande c’est de tester tous les produits et services de l’entreprise et de me donner ses feedbacks.
Je le fais dès les premiers jours qui suivent l’embauche, parce qu’elle n’a pas encore d’expérience dans l’entreprise. Elle a donc un regard neuf et des idées fraîches. Elle voit des choses que je suis incapable de voir. Et c’est souvent grâce à elle que je découvre des aspects auxquelles je n’aurais pas pensé.
Il faut donc s’entourer d’experts, mais aussi savoir écouter les novices pour élargir nos horizons et contre-balancer l’effet Einstellung.
Conclusion
L’effet Einstellung est un biais cognitif qui consiste à privilégier des solutions connues, mais sous-optimales même si de meilleures solutions existent.
Les causes de cet effet sont multiples. Il peut s’agir de notre propre expertise qui nous prend au piège, de la peur du changement ou encore de la difficulté à changer.
Pour réduire ce biais, on doit apprendre à ne pas se limiter à la première bonne idée, s’équiper des bons modèles mentaux, adopter un processus d’amélioration continue et ne pas toujours compter sur l’expertise.