Le biais du survivant, c’est lorsque l’on développe une vision biaisée de la réalité en ne se focalisant que sur une minorité de réussites et en ignorant la majorité silencieuse qui a échoué.
Imaginez, un groupe de scientifiques réunit 100 chimpanzés dans une pièce et leur donne à tous un ordinateur pour passer des ordres de bourse. A la fin de la journée, l’un des chimpanzés a réussi à accumuler une petite fortune. Les scientifiques s’intéressent alors à ce cas particulier pour essayer d’expliquer son succès.
En l’étudiant, ils constatent que le singe en question tape plus vite que les autres sur son clavier et que par conséquent il est capable de passer plus d’ordres que les autres.
Le jour suivant, ils décident d’apprendre à tous les autres singes à taper plus vite en estimant que cette nouvelle compétence leur permettra à leur tour d’accumuler une fortune.
A la fin du 2ème jour, ils observent à nouveau les singes mais à leur grand regret aucun des 100 chimpanzés n’est parvenu à s’enrichir. Pire encore, le chimpanzé qui avait fait fortune la vieille, a tout perdu en seulement quelques heures.
Les scientifiques ne comprennent pas. Ils pensaient qu’en identifiant les qualités du singe qui a réussi et en les transférant à d’autres singes, ils seraient capables d’obtenir un succès similaire et pourtant cela ne semble pas fonctionner. Alors comment l’expliquer ?
Les scientifiques sont en fait sous l’effet de ce que l’on appelle le biais du survivant.
Dans cet article on va voir ce qu’est le biais du survivant, pourquoi on en est tous plus ou moins victime et comment le surmonter pour réussir.
Qu’est-ce que le biais du survivant ?
Pour chaque fondateur qui est devenu riche, il y a 100 autres entrepreneurs qui ont fini dans un garage encombré.
David Cowan
Le biais du survivant c’est ce qu’il se passe quand on ne se concentre que sur les personnes ou les choses qui ont réussi sans considérer les nombreux échecs.
L’exemple le plus parlant est celui des entrepreneurs à succès. On les étudie, on décortique leurs routines, leur état d’esprit, leurs stratégies. On cherche leurs points communs en espérant secrètement trouver la recette de leur réussite. Et naturellement, à force de chercher, on finit par déceler des caractéristiques communes.
Si on s’intéresse à l’histoire de Walt Disney, J.K Rowling et Michael Jordan par exemple, on constate qu’ils ont tous les 3 la détermination pour qualité commune.
En 1919, Walt Disney est viré d’un de ses premiers jobs en animation parce que l’éditeur estimait qu’il manquait d’imagination et qu’il n’avait pas de bonnes idées. A la suite de cela il fait l’acquisition de Laugh-O-Gram un studio d’animation qu’il mène à la faillite. C’est seulement plus tard quand il crée Disney’s brothers’ Studio avec son frère qu’il connait le succès. C’est grâce à sa détermination qu’il a pu surmonter les difficultés et créer un empire.
J.K Rowling a été rejetée par 12 maisons d’édition avant que son livre Harry Potter à l’école des sorciers ne soit accepté. C’est sa détermination qui l’a poussé à continuer de soumettre son livre malgré les refus. Aujourd’hui Harry Potter est un des livres les plus vendus dans le monde et une des plus grosses franchises.
Michael Jordan était lui aussi déterminé. Au cours de sa carrière, il a manqué 9000 tirs et perdu presque 300 matchs. Mais après chacun de ses échecs, il a su rebondir et c’est ce qui fait qu’aujourd’hui il est considéré comme un des meilleurs basketteurs de tout les temps.
En lisant ces histoires, on pourrait se dire que pour réussir dans la vie, on doit être déterminé. Et en pensant cela, on aurait raison et tort à la fois. Raison parce que si on analyse toutes les personnes qui ont réussi, on verra effectivement qu’elles étaient toutes déterminées à réussir. Mais on aurait aussi tort parce que des millions de personnes aujourd’hui sont tout aussi déterminées mais ne réussissent pour autant.
Le problème quand on ne se concentre que sur les succès, c’est que l’on obtient une vue partielle de la réalité. On ne se focalise que sur les survivants. Autrement dit sur les rares personnes qui ont survécu aux difficultés et qui sont là pour témoigner.
Seulement on ne voit pas le reste. C’est-à-dire toutes les autres personnes qui ont des histoires et des qualités similaires mais qui ne connaissent pas le succès pour autant. Ces personnes là sont invisibles. On n’entend pas parler d’elles. On n’écrit pas de livres sur elles. Elles ne font pas la une des magazines. Et ne sont pas non plus interviewées. Elles représentent la majorité silencieuse.
Le biais du survivant, c’est ça. C’est développer une vision biaisée de la réalité en ne considérant qu’une minorité de réussites et en ignorant la majorité silencieuse qui a échoué.
Pourquoi est-on victime du biais du survivant ?
Les survivants sont plébiscités
Si on est victime du biais du survivant c’est parce que les survivants sont ceux qui sont le plus souvent sous le feu des projecteurs. Ce sont ceux sur qui on écrit des livres, ceux qui sont interviewés, ceux dont les médias nous parlent le plus souvent et ceux qui font l’objet de documentaires et de films. Steve Jobs a eu son film avec Jobs, Mark Zuckerberg l’a eu avec the Social Network, Jordan Belfort avec le Loup de Wall Street, Howard Hughes avec Aviator, Chris Gardner avec A la recherche du bonheur…
Les success stories sont donc très largement documentées et promues. Elles nous sont beaucoup plus familières que les histoires d’échec qui, elles, sont bien moins plébiscités.
Les survivants sont mis en avant par les algorithmes
Les survivants sont aussi rendus visibles grâce aux algorithmes.
Quand on fait une recherche Google, on nous montre en première page les contenus des blogueurs les plus populaires. Sur Youtube, on nous suggère les vidéos de créateurs qui ont le plus de vues. Sur les réseaux sociaux, on voit en premiers les posts d’influenceurs qui ont le plus de likes et d’interactions.
Dans ces conditions, on peut avoir l’impression que tout le monde est populaire et que tout le monde réussi. Mais quand on regarde objectivement les choses, on constate que dans la très grande majorité des cas, les contenus publiés sur le web ne sont jamais vus ou très peu. Ils finissent plus souvent au cimetière des contenus oubliés.
Les survivants nous inspirent
Enfin si on est victime du biais du survivant c’est aussi parce que les survivants nous inspirent et nous donnent espoirs. Et c’est sans doute la plus grande raison.
Tout le monde aime les histoires de réussite. Personnellement j’adore lire ou entendre le récit de personnes qui partent de zero et qui finissent par rencontrer un succès phénoménale malgré les difficultés. C’est quelque chose auquel on s’identifie tous.
C’est beaucoup moins déprimant que de s’intéresser à la majorité qui échoue. Car cette majorité nous rappelle que les probabilités de succès sont contre nous. Et que statistiquement, on a beaucoup plus de chance de se retrouver dans le cimetière de ceux qui ont échoué que de faire partie du club très fermé des survivants.
Maintenant ça ne veut pas dire que l’on n’a aucune chance de réussite et que l’on ferait mieux de ne rien essayer. Bien au contraire. Cela signifie juste que l’on doit approcher les choses différemment.
Comment faire pour limiter le biais du survivant ?
S’intéresser aux échecs tout autant qu’aux réussites
On a beaucoup à apprendre de l’état d’esprit de ceux qui ont du succès, de leurs modèles mentaux et de leurs stratégies. Seulement il ne faut pas non plus leur accorder trop de poids. Rien ne garantit qu’en adoptant le même état d’esprit et en appliquant les mêmes modèles et stratégies, on réussira.
Pour se donner toutes nos chances et ré-équilibrer notre perception des choses, on doit aussi s’intéresser aux caractéristiques communes des perdants. C’est-à-dire écouter la majorité silencieuse. Identifier les raisons pour lesquelles ces personnes n’ont pas réussi et éviter à tout prix de reproduire les mêmes erreurs.
Autrement dit, on doit accorder autant d’importance aux raisons du succès qu’à celles de l’échec.
Lire aussi : Développer son raisonnement, libérer sa créativité et exploser sa productivité avec le modèle d’inversion
Eviter le réductionnisme causal
On explique souvent la réussite des personnes par leurs compétences seules. On estime que si elles ont réussi c’est parce qu’elles sont passionnées, patientes, optimistes, confiantes, résiliantes…
On oublie que dans certains de figures les compétences ne sont pas la seule raison du succès. Parfois il y a d’autres causes en jeu. Peut être que ces personnes étaient là au bon endroit, au bon moment. Peut être qu’elles disposaient des capitaux nécessaires ou encore qu’elles avaient les bonnes connexions…
Prenez Airbnb par exemple. Beaucoup admettent que Brian Chesky et Joe Gebbia, les 2 co-fondateurs d’Airbnb, ont créé leur entreprise au bon moment. Ils ont lancé leur projet dans les années 2007 – 2008. Autrement dit juste au moment de la crise des subprimes. Les américains étaient en difficulté et cherchaient à arrondir leurs fins de mois. Airbnb leur donnait la possibilité de louer leur maison/appartement. Beaucoup n’ont pas hésité à sauter sur l’occasion.
Si les 2 entrepreneurs avaient monté ce même projet 2 ou 3 ans plus tôt avec les mêmes compétences, ils ne seraient peut être pas parvenus à faire décoller leur projet aussi bien et Airbnb n’existerait peut être pas aujourd’hui.
Quand on analyse les succès d’autres personnes, on doit donc bien faire attention à prendre en compte tous les facteurs de leur réussite et pas seulement l’expliquer par une cause unique.
Conclusion
Le biais du survivant est un des biais cognitifs les plus difficiles à attendre parce qu’il nous rappelle que l’on est tous exposé à l’échec et que les probabilités de réussite sont contre nous. On peut surmonter ce biais en s’intéressant aux échecs tout autant qu’aux réussites et en évitant le réductionnisme causale.
Pour aller plus loin sur ce sujet, je vous recommande 2 excellents articles qui expliquent le biais du survivant sous un autre angle :